Laย Banque centraleย europรฉenne a annoncรฉ la semaine derniรจre une baisse de taux historique et une sรฉrie de mesures pour pousser les banques ร prรชter de l’argent et รฉviter laย dรฉflation. Est-ce la fin de ce que vous appelez le ยซย sado-monรฉtarismeย ยป, cette politique qui n’aide pas l’รฉconomie ร retrouver la croissance ? – Je l’espรจre. Sous la prรฉsidence de Mario Draghi, la BCE a changรฉ. Elle se montre plus large d’esprit. Plus rien ร voir avec la BCE qui montait les taux en 2010 alors que la crise รฉtait loin d’รชtre terminรฉe ! C’est donc un bon signe, mรชme si ce n’est pas encore suffisant ร mes yeux. L’รฉconomie europรฉenne tourne ร 5% en dessous de ses capacitรฉs. Et le dรฉficit de croissance est concentrรฉ dans les pays du Sud, oรน il est catastrophique. Il faudrait au moins 2% ร 3% d’inflation pour les aider.
En quoi l’inflation est-elle une solution ? On la prรฉsente souvent comme un impรดt sur les pauvres…
– Il y a deux types d’opposition ร l’inflation. Il y a ceux qui pensent que la hausse des prix menace le pouvoir d’achat en gommant les augmentations de salaire. C’est le cas du grand public. Mais c’est ce qu’on appelle l’illusion monรฉtaire. En rรฉalitรฉ, les salaires rรฉels sont peu affectรฉs par l’inflation. Celle-ci agit plutรดt comme un impรดt sur les crรฉanciers, ceux qui ont des comptes en banque bien garnis, alors qu’elle aide ceux qui sont endettรฉs. Et, en moyenne, les crรฉanciers sont plus riches que les dรฉbiteurs.
Et puis il y a ceux qui redoutent un retour de l’hyperinflation de 1923 qui a minรฉ la Rรฉpublique de Weimar. Qu’ils se rassurent. Le FMI a รฉtudiรฉ, il y a quelques annรฉes, la situation de la Grande-Bretagne aprรจs la Premiรจre Guerre mondiale. Elle a essayรฉ vainement de rembourser la dette contractรฉe pendant la guerre en revenant ร l’รฉtalon-or, c’est ร dire sans inflation. La Grande-Bretagne n’a pas rรฉussi ร rรฉduire sa dette, alors que dans le mรชme temps la France, qui avait laissรฉ filer l’inflation, a diminuรฉ sa dette et a connu une meilleure croissance.
Historiquement, on sait que la combinaison d’une inflation basse, de l’austรฉritรฉ et de la dรฉvaluation interne – la baisse du coรปt du travail – n’a jamais fonctionnรฉ pour remettre une รฉconomie en marche. Alors pourquoi appliquer cette recette pour rรฉsoudre les problรจmes de l’Europe ? L’inflation n’est pas la panacรฉe. Elle ne doit pas รชtre trop รฉlevรฉe. Mais les perspectives europรฉennes seraient nettement meilleures avec 3 % de hausse des prix au lieu du 0,5% actuel.
Cela va ร l’encontre de la politique de modรฉration salariale que les gouvernements soutiennent…
– Dans la zone euro, si vous baissez vos coรปts plus vite que vos concurrents commerciaux, vous en tirez un avantage individuel. Mais il y a un vrai problรจme d’action collective. La modรฉration salariale rendra la France plus compรฉtitive face ร l’Espagne, ou l’inverse, mais au niveau global, pour l’Europe, cela n’a pas de sens. C’est pour cela que la BCE doit faire ce qu’elle peut pour รฉviter une concurrence nรฉfaste entre pays au sein de la zone euro.
L’inflation n’est-elle pas l’ennemie de l’emploi ?
– Non, au contraire. Si l’inflationย augmente dans la zone euro, elle sera sans doute plus forte en Allemagne et toujours faible en Espagne, oรน il y aurait un taux deย chรดmageย plus รฉlevรฉ. C’est exactement ce qu’il faudrait : l’Espagne regagnerait de la compรฉtitivitรฉ par rapport ร l’Allemagne. La France se situerait entre les deux. Mais on est encore loin de voir un tel phรฉnomรจne se produire et les mesures que vient d’annoncer la BCE ne suffiront pas ร le dรฉclencher.
Contrairement au FMI ou ร l’OCDE, vous estimez que nos รฉconomies ne retrouveront pas le niveau de croissance d’avant-crise. Pourquoi ?
– La croissance des annรฉes 2000 reposait sur deux phรฉnomรจnes qui ne se reproduiront pas. Primo, le secteur privรฉ, surtout les mรฉnages, รฉtait dopรฉ ร la dette. Nous pensions que c’รฉtait durable, mais cela ne l’รฉtait pas. La consommation des mรฉnages ne sera plus jamais aussi soutenue. Secundo, avant la crise, la population active augmentait rapidement. Or ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, la population active europรฉenne diminue. L’Europe a la mรชme structure dรฉmographique que le Japon il y a vingt-cinq ans. Le niveau moyen de croissance sera donc forcรฉment plus faible.
Entrons-nous dans un monde sans croissance, ce qui pourrait remettre en question le financement de l’Etat-providence ?
– C’est une question essentielle, notamment pour les jeunes. Ils รฉvoluent dรฉjร dans un environnement dรฉsastreux. Je crois malheureusement que nous allons connaรฎtre une longue pรฉriode de dรฉpression ou de faible croissance. Je ne vois pas d’oรน viendraient les bonnes nouvelles. Peut-รชtre des investissements que nous pourrions dรฉcider de faire pour lutter contre le rรฉchauffement climatique ? Le dรฉveloppement des รฉnergies renouvelables pourrait รชtre au XXIeย siรจcle ce que la construction du chemin de fer a รฉtรฉ autrefois et ce que les investissements dans les infrastructures de tรฉlรฉcommunication ont รฉtรฉ aux annรฉes 1990.
Cela peut-il entraรฎner des conflits de gรฉnรฉration ?
– Je crois plus ร la lutte des classes qu’au conflit des gรฉnรฉrations. L’opposition n’est pas entre les jeunes et les vieux, mais entre ceux qui n’ont pas de patrimoine et ceux qui en ont.
Quels conseils donneriez-vous ร Franรงois Hollande ?
– La France est devenue une hypocondriaque de l’รฉconomie, une sorte de malade imaginaire, toujours prรชte ร croire qu’elle est en difficultรฉ alors qu’elle ne l’est pas vraiment et ร se laisser trop facilement intimider. Les marges de manoeuvre de la France sont limitรฉes, puisqu’elle n’a pas sa propre monnaie, mais elle en a plus qu’elle ne le croit. Il n’y a pas de crise des finances publiques en France. Le pays n’a pas besoin de plus d’austรฉritรฉ et ne doit pas rรฉagir ร un ralentissement de la croissance par un nouveau tour de vis budgรฉtaire. Mais elle n’a pas non plus les moyens de faire de la relance budgรฉtaire.
Et que dites-vous au prochain prรฉsident de la Commission europรฉenne ?
– Il doit s’entendre avecย Mario Draghi. La Commission vit sur un mythe : pour elle, tous les problรจmes รฉconomiques viennent de la crise des finances publiques qu’il faut rรฉsoudre puis laย croissanceย reviendra toute seule. C’est complรจtement faux ! En poussant l’austรฉritรฉ pour tous, sans soutenir les efforts de relance, la Commission met en danger tout le projet europรฉen. Elle est beaucoup plus dure que laย BCEย ou le FMI. Cela doit changer.
Cela plaide pour une candidature de Christine Lagarde ร la prรฉsidence de la Commission europรฉenne…
– Si Christine Lagarde affirme qu’elle continue ร รฉcouter les conseils d’Olivier Blanchard, le chef รฉconomiste du FMI, alors je suis d’accord ! Mais je ne sais quelle ligne elle suivrait ร la tรชte de la Commission. Ce serait sans doute mieux que Jean-Claude Juncker…
Propos recueillis par Sophie Fay – Le Nouvel Observateur